Isol’en paille / J18

Introduction

Après nos visites en Basse-Normandie et en Bretagne, nous rejoignons le département du Maine-et-Loire, dans la commune de Lys haut layon pour rencontrer Nicolaas OUDHOF fondateur de l’entreprise isol’en paille. Cette jeune entreprise développe des ballots de pailles de blé de différents formats destinés à de l’isolation. Nous rencontrons Nicolaas au jour 18 de notre voyage pour qu’il nous explique le processus de fabrication de ses bottes de paille, et pour discuter du développement de la filière paille et des règles de constructions actuelles.


Figure 1 : texture de paille © Matières Vives

1 -L‘exploitation de la paille

1-    a-Définition
Paille

« Ensemble de tiges de céréales coupées et dépouillées de leur grain, servant à différents usages »

Source : Centre national de ressources textuelles et lexicales


La paille est la partie de la tige de certaines céréales (blé, orge, avoine, seigle, riz), coupée lors de la moisson. C'est le plus souvent un coproduit de la production de grains. La paille peut être soit enfouie sur site afin d’améliorer les propriétés physiques du sol, soit enlevée et « exportée » hors de la parcelle pour d'autres utilisations. La paille prend alors généralement la forme de balle ronde. Des balles d’environ 450 kg à environ 40 € l’unité. Isol’en paille travaille avec des producteurs de la région qui le fournissent avec cette matière brute.


Figure 2: Balles de paille stockées sous une halle © Matières Vives

1-    b- Exploitation agricole

La France est le premier producteur de céréale d’Europe, avec environ 9 millions d’hectares récoltés chaque année, elle se place devant la Pologne ou l’Allemagne (figure 2). A titre de comparaison la culture de chanvre en France est de 18 000 hectares soit 500 fois moins que les céréales (voir article sur Agro’chanvre)[1].

Environ 40% de la paille produite retourne immédiatement au sol (par broyage). Le reste de la paille est essentiellement employé comme litière animale et remis dans les champs sous forme de fumier. Les agriculteurs sont à la fois équipés pour broyer la paille et épandre dans les champs, le fumier, le compost ou les déchets végétaux broyés[2]

Selon le Rapport d'étude ACV / FDES mené par Cerema en 2015 « Pour une production nationale en 2010 de 30 millions de tonnes de paille en culture céréalière, on obtient un pourcentage de paille-construction par rapport à la production totale de paille au niveau national de 0,0012 % »[3] ;

Un pourcentage faible qui démontre que la paille est une ressource disponible pour la construction, et ce, partout en France. Même si la construction paille est en pleine expansion, « On recense environ 500 nouvelles constructions chaque année »[4]contre « 103 maisons par an entre les années 2007 et 2010 »[5] , l’usage de la paille dans le bâtiment reste relativement faible en comparaison avec le nombre de tonnes de paille produites en France. Un constat qui nous a donné envie de découvrir ce matériau.



[1] https://matieresvives.cargo.site/Agro-chanvre

[2] Source : ADEME.

[3] Source : Rapport d'étude ACV / FDES conforme aux exigences de la norme NF EN 15804, 01/06/2015, Remplissage isolant en bottes de paille (issues de l'agriculture conventionnelle), https://www.rfcp.fr/wp-content/uploads/2017/02/rapportstechniques/150601_ACV_Paille_15804_vdef.pdf

[4] Source : RFCP https://www.rfcp.fr/historique/?doing_wp_cron=1621841684.9090220928192138671875

[5]Source : RFCP https://www.rfcp.fr/wp-content/uploads/2017/02/rapportstechniques/150601_ACV_Paille_15804_vdef.pdf




Figure 3: Carte représentant les premiers producteurs céréaliers Européen. Source : Erostat.
   
1-    c- Les caractéristiques de la paille

La paille est la tige du céréale sans épi ni grain. Dans la construction, c’est la paille de blé qui est majoritairement utilisée toutefois Il existe d’autres types de paille qui sont aussi employés dans le bâtiment : triticale, orge, riz et seigle pour les toits de chaume notamment.

Isol’en paille travaille avec de la paille de blé. La tige de blé mesure entre 20 à 50 cm, elle s’apparente dans sa composition au bois, elle est constituée de parois végétales de cellulose, d’hémicelluloses et de lignine.

Après la moisson les tiges de blé sont généralement conditionnées sous forme de balles rondes pouvant être manipulées individuellement avec un tracteur. Ces balles rondes sont plus simples à fabriquer et sont aujourd’hui les plus populaires.

Dans la construction la forme rectangulaire dit en « ballots » s’est largement développé notamment pour faciliter son emploi et son empilement pour de l’isolation notamment. Ces ballots ont généralement une dimension de 47 cm de large pour 37 cm d’épaisseur et une longueur quant à elle qui peut varier.

Nicolaas propose différentes dimensions de ballots grâce à sa propre chaine de production qu’il développe depuis plus d’un an. Il a notamment développé une botte de 22 cm d’épaisseur un produit extrêmement intéressant pour de l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) dans le cadre d’une rénovation par exemple. Il a également réalisé un travail remarquable de caractérisation technique de ses produits que nous développerons dans la suite de l’article.



Figure 4: Les types de céréales cultivés en France © illustration : Passion céréales   1 : Blé tendre // 2 : Blé dur // 3 : Triticale // 4 : Orge // 5 : Epeautre // 6 : Seigle // 7 : Avoine // 8 : Maïs // 9 : Riz // 10 : Sarrasin // 11 : Sorgho // 12 : Millet

2-Regard sur la filière

2-    a- Histoire

L’utilisation de la paille dans le bâtiment n’est pas récente.

Elle apparaît dans de nombreuses constructions vernaculaires sous forme de torchis (enduit de paille et terre) ou simplement de manière « indirecte » pour isoler les combles des maisons, ceux-ci servant généralement au stockage de la paille. Un lieu de stockage choisit d’ailleurs fort judicieusement par nos aînés.

Malgré ces traces non formalisées d’utilisation de la paille, son usage a été pendant longtemps oublié, il faut attendre 1920 pour qu’une  première maison isolée en paille soit réalisée en France. Il s’agit de la « maison Feuillette » (prototype pour la reconstruction de fermes au lendemain de la guerre), conçue et construite par Émile Feuillette, ingénieur qui l’édifia à Montargis dans le Loiret.

L’utilisation de la paille dépasse les frontières de l’hexagone, aux Etats Unis par exemple, les premières constructions en paille sont apparues dès le milieu du 19 ème siècle dans le Nebraska, cette région disposant  de peu de ressources en pierre et bois, d’une terre sableuse peu propice à la construction, les colons ont du trouver un matériau alternatif abondant et bon marché. Les bottes de paille ont été empilées, pour former des murs porteurs. Une logique constructive qui s’est largement développée jusqu’en 1938 ou une maison à plusieurs niveaux a été édifiée.

Malgré ce savoir-faire, la paille a très vite laissé place au béton dont l’utilisation s’est répandue dans la plupart des constructions modernes des dernières décennies.
En France a partir des années 1980, elle recommence a être employée dans le bâtiment. Aujourd’hui, l’usage de la paille  est en plein développement notamment grâce au Réseau Français de la Construction Paille (RFCP) qui définit au mieux les règles de mise en oeuvre de ce matériau et facilite son usage auprès de maîtres d’œuvre, architectes ou maîtres d’ouvrage. Au niveau Européen des programmes pour promouvoir l’isolation en paille voient le jour  comme le projet Up Straw[6] qui a pour but de mettre en place un standard de construction passive avec le matériau paille.


[6] Projet Upstraw :https://www.nweurope.eu/projects/project-search/up-straw-urban-and-public-buildings-in-straw/

Figure 4 : Maison feuillette à Montargis. ©Matières vives

2-    b- Isol’en paille


Isol’en Paille est une jeune entreprise fondée par un ingénieur des Mines : Nicolaas Oudoff.
Cette structure existe depuis 2019 et travaille principalement avec des charpentiers, architectes pour la mise en œuvre d’isolation paille dans des ossatures bois.
L’usine est basée au coq Hardy à lys-haut-layon sur le site d’une ancienne briqueterie d’environ 6500m². Isol’en paille centralise sur ce lieu ses bureaux, « halles de transformation » et de stockage. Cette entreprise est en pleine expansion dans une filière en construction, qui recense environ 14 fournisseurs de ballot de paille certifiés selon l’annuaire du Réseau Français de la Construction Paille (RFCP)[7]. En effet, l’intérêt pour l’isolation paille est de plus en plus important, de par la disponibilité de cette matière, mais aussi suite à la nouvelle réglementation thermique qui pousse à utiliser des matériaux biosourcés.
Afin de répondre à ces demandes, cette entreprise s’organise, à la fois pour parfaire le processus industriel de production, mais également pour caractériser au mieux les produits proposés.

[7] Annuaire du RFCP : https://www.rfcp.fr/annuaire-de-la-construction-paille/



Figure 5 Plan du site de l'usine de Isol'en paille. ©Matières vives

2-    c- Chaîne de transformation


Les bottes de paille à produire ne nécessitent pas une longue chaine de transformation. Seules 2 machines associées à des outils de mesures sont nécessaires pour leurs productions.

Ici nous détaillerons le procédé utilisé par isol’en paille.

Tout d’abord, comme expliqué precedemment, la paille arrive à l’usine sous forme de balles rondes qui sont stockées à sec sous une halle avant transformation.

Ces balles sont ensuite déroulées par une « dérouleuse » qui va grace à des « crampons » séparer les tiges et les convoient vers la botteleuse.

La paille entre dans la botteleuse qui a pour objectif de presser les tiges afin de créer une botte bien dense qui pour 60 cm de long (pour 36x46cm) doit peser environ 12 kg ce qui équivaut à une masse volumique de 100 kg/m3.[8]

La pression appliquée est maintenue grâce à des fils généralement en polypropylène pour qu’ils ne se désagrègent pas dans le temps.

Enfin, il faut mesurer l’hygrométrie des bottes afin de s’assurer que le taux d’humidité n’excède pas 20 % selon les règles professionnelles. Les bottes sont ensuite mises sur palette et pesées afin de recontroler leurs poids et en conséquence leurs masses volumique.

Il n’y a plus qu’à distribuer le produit sur chantier ou dans un atelier qui préfabriquera des panneaux de bois isolé en paille.

Suivant ce processus Isol’ en paille peut produire par jour jusqu’à 100m² de bottes par jour. Une bonne quantité qui permet de facilement tenir ses délais et approvisionner plusieurs chantiers localement.



[8] Source Règles professionnelles : https://www.rfcp.fr/librairie/regles-professionnelles-de-construction-en-paille-v3/ou https://www.oikos-ecoconstruction.com/wp-content/uploads/2017/05/cahierdeschargespaille.pdf




Figure 6: Chaîne de transformation de la paille. © Matières Vives











Figure 7: Photographies de la transfomation de la balle de potte en bottes prêtes pour la construction. © Matière Vives 
2-    d-  Les produits

Isol’ en Paille propose plusieurs produits.

-    La botte de paille sous différents formats
-    L’argi botte, un mélange de paille et d’argile
-    De la paille en vrac à insuffler

Les bottes de paille proposées sont produites aux dimensions suivantes (ExlxL en cm) :
-    22 x 36 x 55cm
-    30 x 36 x 55cm
-    36 x 46 x 55cm
-    46 x 36 x 55cm (même botte que la 36 mais posé sur face)
-    46 x 36 x 120cm (pour de la paille porteuse)

L’épaisseur et la largeur sont définies par les règles professionnelles de la construction paille, la longueur de 55 cm quant à elle a été définie par Nicolaas, cette dimension permet de maintenir un entraxe d’ossature bois de 60cm.

Chacune des bottes d’Isol’en Paille est associée à une fiche technique résumant la conductivité thermique, la résistance thermique suivant l’épaisseur (R), la masse volumique, la perméabilité, le classement feu avec un enduit à la chaux, l’empreinte carbone, l’étiquette de qualité de l’air et enfin la Capacité thermique massique (c). (voir figure 13) Une fiche technique complète qui permet aux prescripteurs de facilement comparer et résumer les plus valus techniques d’une telle isolation.

Si l’on prend l’exemple de la botte de 36 sa résistance thermique de 7 m².K/W est légèrement supérieure à celle d’une laine de verre de 20 cm (6,25 m².K/W )[9].
De plus, la paille a une étiquette qualité d’air A+ et assure un environnement sain à l’habitacle contrairement à la laine de verre qui peut émettre des polluants (composés organiques volatils (COV)) dans l’air environnant.

Ensuite, l’isolation paille va permettre de stocker du carbone tout au long de la vie du bâtiment, ce qui rend son empreinte carbone quasi nulle voir négative. En comparaison, pour être réalisée la laine de verre a une empreinte de 3,2 kgCO2eq par kg de fibre. Enfin, le prix au m² d’une isolation paille est d’environ 50 € /m² fournit posé, ce qui est quasiment équivalent au prix de pose d’un laine de verre classique.

Nicolaas développe d’autres produits comme «l’argibotte» (bottes de paille trempée dans de la barbotine) qui confère une plus grande inertie thermique au ballot. Un procédé intelligent qui permettrait d’enduire plus rapidement mais également de protéger au mieux les bottes.

Même si la paille peut être encore marginalisée pour certains, ses avantages sont nombreux et doivent nous requestionner pour le choix de futurs isolants.



[9] Cette donnée est pour une laine Isoconfort 32 revêtue kraft de 20 qui a un R de 6,25 m².K/W https://www.isover.fr/laine-de-verre/laine-de-verre-200mm



Figure 8 : Fiche technique botte de paille de 36cm d'épaisseur. © Isol’en paille.





Figure 9 : Tableau comparatif. (les prix sont indicatifs) © Matières vives





Figure 10: Photos des produits de Isol’en paille 
-Botte de 36
-Argi botte

Photos © Matières Vives

3- La paille en architecture

Aux regards des caractéristiques techniques et économiques énoncées plus haut, la paille a des qualités qui méritent d’être valorisées dans de nouvelles constructions ou réhabilitations.

Même si les mentalités changent vis-à-vis de ce matériau, les constructions usant de cette ressource restent minimes. Toutefois, quelques exemples sont à noter et méritent notre attention.

Le prix Fibra Award a notamment mis à l’honneur la construction du Pôle culturel de La Boiserie à Mazan dans le 84 qui use de la paille comme isolation.

Ici la paille est intégrée au sein de caissons bois qui serviront d’isolants pour les murs et la toiture.

La paille dans cette salle de spectacle est également utilisée pour ses bonnes caractéristiques phoniques qui vont permettre de perfectionner l’acoustique des lieux.









Figure 11 : Pôle culturel La Boiserie – Mazan (84) MOE : DE-SO architecte mandataire / GAUJARD TECHNOLOGIE bet bois / MTC bet tce / ALTIA bet acoustique / ARCHITECTURE ET TECHNIQUE scénographe


Mais qu’en est-il en réhabilitation, la paille peut-elle être utilisée ? en isolation thermique par l’extérieur (ITE) ou par l’intérieur (ITI) ? y-a-t-il des précautions à prendre vis-à-vis de l’humidité ? Ces interrogations méritent d’être levées afin que cette ressource disponible soit utilisée comme isolation pour notre patrimoine commun des décennies passées.

Dans le cadre d’une isolation paille, l’épaisseur de l’isolant est d’environ 37 cm pour atteindre un R de 7. Si l’ITI est choisie en raison de son coût de mise en œuvre plus faible, cette épaisseur relativement importante diminuera en conséquence la surface habitable du logement,  sans oublier comme avec toutes ITI les risques de ponts thermiques au droit des dalles d’autant plus complexes à traiter que l’isolant est épais.  

Une ITE sera donc plus efficace et n’impactera pas la surface habitable.  Il conviendra d’assurer toutefois une bonne protection à l’eau par un bardage ou un enduit chaux/terre afin d’éviter toute infiltration.

Un bon exemple de réhabilitation est celle d’un immeuble parisien en R+7 avec une ITE Paille réalisée par les architectes trait vivant (architecte mandataire) et landfabrik (architecte). Ici, la majeure partie du chantier (R+3 à R+7) utilise un système d’isolation avec épine bois, paille et enduit. Une autre zone plus expérimentale (R+1, R+2) use d’un système dit « en bretelle »[10] pour assembler les bottes entre elles sans utiliser d’ossature. Ce procédé à cout quasi équivalent d’un ITE classique en laine minérale démontre que l’utilisation de la paille pour la réhabilitation permet non seulement d’avoir un R de 9 répondants aux exigences des bâtiments passifs, mais également de répondre aux exigences économiques d’un projet.



[10] Pour plus d’information aller voir l’article réalisé par la revue Topohile : https://topophile.net/savoir/des-bretelles-pour-un-manteau-de-paille/








Figure 12: Projet isolation paille R+7, MOE : Trait Vivant (mandataire) Trait Vivant (mandataire) Landfabrik (architecte associé) Denis Fréhel (Qui Plus Est – Thermique), Yannig Robert (Structure, Entreprises : Depuis 1920 (Charpente Menuiserie) Apij-Bat (Paille), Ravalement de Paris (Enduit chaux), Spebi (Ravalement briques). Axonométrie : © Collect’if paille

Conclusion / Regard critique :

La paille est le deuxième isolant biosourcé que nous analysons durant notre voyage, ses caractéstiques techniques et notamment sa bonne résistance thermique nous ont confortés dans l’usage que nous pourrions faire de cet isolant. Mais au-delà des nombreuses qualités que peut apporter ce matériau au sein d’un bâtiment, c’est sa disponibilité qui nous a interpellés. Avec plus de 9 millions d’hectares de céréales produites en France, cette ressource représente environ 3,2% du territoire français. C’est une ressource abondante et répartie sur la France qui peut facilement être sourcée localement sans être importé. En ce sens, elle est un isolant de marque à considérer pour de future construction.



Figure 13: Schéma explicatif d’une mise en oeuvre en paille. © Matières Vives

Nous remercions Nicolaas pour son accueil et pour avoir partagé ses connaissances et son travail autour de ce matériau d’avenir. 
Pour plus d’informations, site internet d’Isol en Paillehttps://isolenpaille.com/